Lettres

[lang_fr]

Procédé d’impression par report.
(Procédé déposé à la B.N.F.  service des estampes)
Le report.
Le report est un procédé d’impression simple et nécessitant peu de moyen.  Jérôme Borel l’utilise depuis 1991.  Il fait partie intégrante de sa production artistique.  Le procédé.  Aucune presse mécanique n’est nécessaire.  Enduire préalablement une feuille de papier avec de l’encaustique teintée de qui donne la matrice.   Présenter successivement les feuilles vierges sous la matrice et par simple pression produire un dessin.  Chaque report est unique ainsi que chaque ensemble, lui-même rattaché à une unique matrice. 
Ce qui a fait dire à un critique d’art que les reports sont des « polytypes » (ni multiples, ni monotypes).

 

 

Autre, la nuit.

« Bien que l’homme s’inquiète en vain, il marche dans l’image ». Saint-Augustin

Être dans la nuit.  Entre.  Le moment entre.  Entre le temps des images.  A la pliure.  Dans le noir des images, avec la trace de son corps.

Un autre monde se lève.  L’éveil.  La nuit est plus noire encore.  Elle a la même langue que l’image.  Irréductible à sa présence.  Elle donne un corps au néant.  Elle donne à rien sous sa forme de rien, la forme de quelque chose.  Comme une eau noire, l’image fait sa nuit.

L’oeil s’étend sur la toile et le noir entre.  Le regard absorbé de noir devient l’image.  L’oeil se retourne, et la lumière entre.

Une voix parvient à quelqu’un dans le noir.  Imaginer.  C’est le temps de la nuit du monde.  L’image est la trace de son effacement.  La trace des dieux enfuis.  L’image s’ouvre à l’apparition de la trace.  A sa présence, à son inapparence.

 

Quelque chose déchire l’image.  Une mise à mort. 

 

Le diable probablement.  Sa tête est rouge.  La déchirure ouvre la figure.  

 

Sombre.  L’univers est égal à son vaste appétit.  A sa beauté.

 

Fatales ténèbres.  Le temps de la nuit du monde est le temps où il n’y a plus d’image.  Le temps où l’image fait de cette absence d’elle
 
le lieu de son regard.  L’image ouvre le temps comme elle ouvre son corps.  L’Autre du visible.  Le temps de l’image à venir.

Chaque image est la trace du mystère de la peinture.  Sa lumière.  L’enfant est sa beauté.  Un voile de tristesse semble envelopper

sa beauté, mais ce n’est pas un voile, c’est le visage de la beauté.

Pascale Guillon, Tavel,  juillet 2009.

 

AU-DESSOUS Keith Donovan

Je dors un étage sous l’atelier de Jérôme Borel.  En 2002, il venait tôt et produisait un fort son de frottement.  Dans mon demi-sommeil, je crus tout d’abord entendre le bruit de ces balais en plastique que l’on entend dans les caniveaux parisiens.  Un balayage régulier, persistant des heures durant.  Nous prenions le café certains jours et je pouvais voir tout ce balayage condensé en peintures.  Les images devenaient vibrantes.  On aurait dit des paysages photographiés depuis un train, y compris avec les lignes à haute tension qu’on voit depuis un TGV à pleine vitesse.  Certaines peintures ressemblaient au nord de la Bourgogne, juste au-delà de Paris.  Je pus voir des champs gris-bleu et vert et des cieux où des éléments industriels virevoltaient entre les tableaux, mesurant le vide entre les poteaux téléphoniques.  

Plus tard dans cette période, les tableaux étaient pleins d’éléments industriels et urbains.  Tous contenaient les traînés d’un mélange d’huile, de métal et de rouille du RER qui me rappelèrent le Canal de l’Ourq.

J’ai quitté Paris durant presque un an et à mon retour le bruit de frottement avait fait place à un faible son, tel des chuchotements, une sorte de silence assourdissant ponctué d’éclat de Sonic Youth.  Le peintre passait visiblement ses toiles au papier de verre.  Certaines avaient l’air de murs à moitié rénovés ou à des fresques à moitié détruites.  Des lignes se déroulaient en sortes de créatures marines ou en silhouettes de fantasmes sexuels osés.  En somme, des méduses en formes de tétons.  Je vis la palette torride de Gustave Moreau, en verts et en rouges.  Même le bleu céruléen était brûlant. Odilon Redon à la gare de l’Est où l’eau calcinée a suinté entre les tuiles orange foncé pendant des années, laissant de grandes tâches blanches à l’aspect de corail.  Des formes noires, pubiennes nichées dans des globules stellaires.  

Vitesse, symbolique, ruine, sexe.  Que donne ce mélange?  Un débat d’intellectuels moyenâgeux dans les toilettes d’un TGV?  C’est une élégie de la symbolique charnelle: peindre comme on fait l’amour, torride et coquin.  Le glissement à grande vitesse du peintre est encore visible mais il est réduit à quelque chose qu’on voit à travers le plancher, un élément parmi d’autres.  Ces groupements de copulations commencent à humaniser et à peupler les premiers paysages.

Puis plus aucun son ne me parvint de l’étage supérieur.  Dans les dernières oeuvres je vis que l’attention portée à l’érotisme s’était élargie à un plus grand nombre d’événements.  Le regard imaginatif du peintre élève le phénomène banal de l’acte sexuel à une activité hautement importante.  La peinture gouttant de travers de façon dramatique, comme des passagers aux corps de puzzles juteux, calés dans des sièges en mousse, mangeant, buvant, lisant et dormant en route vers un destin répétitif.

Peut-être que M. Borel ne fait que détourner son regard de la fenêtre du train ou de ses fantasmes, afin d’observer ses compagnons de voyage du coin de l’oeil.  Il semble voyager à grande vitesse vers quelque chose de toujours plus familier.  Il a adopté la profonde dignité de ce mouvement avec la précise désinvolture d’un conducteur de train qui poinçonne un billet. Nous poursuivons nos affaires, plus excités et plus enclins à être attentifs.

Tout passe si vite.

Keith Donovan, 2004 (traduction française Théo Kuperholc, 2008).[/lang_fr]

[lang_en]

 

Other, the night.

« Although the man worries in vain, he walks inside the picture ».  Saint-Augustin

Being into the night. Between. The moment between. Between the time of the pictures. In the folding. Into the blackness of the pictures, with the mark of its body.

Another world rises.
The awakening. The night is darker still.
It has the same language as the picture. Irreducible to its presence. It gives nothingness a body. It gives Nothing its shape of Nothing, the shape of something. Like dark water, the picture creates its night.

The eye lingers on the canvas and darkness enters. Filled with darkness the sight becomes the picture. The eye turns back and light enters.

A voice reaches someone in the dark. To imagine. It is the time of the world’s night.
The picture is the mark of its vanishment. The mark of gods that fled. The picture opens up to the appearance of the mark. To its presence, to its lack of visibility.

Something rips the picture apart. A killing.
The Devil, surely. Its head is red. The ripping opens up the face.
Dark. The universe is equal to its vast appetite. To its beauty.
Deadly darkness. The time of of the world’s night is the time when there is no more picture. The time when the picture makes the object of its sight out of its absence. The picture opens up time like she does its body. The Other of the visible. The time of the picture to come.

Every picture is the mark of the painting’s mystery. Its light. The child is its beauty. Its beauty seems to be wrapped in a veil of sadness, but it is not a veil, it is the true face of beauty.

Pascale Guillon, Tavel (France), 2009 (traduction Théo Kuperholc, 2009)

 

BELOW Keith Donovan

I sleep one floor below Jerome Borel’s studio.  In 2002 he’d come in early and make a whooshing noise.  In my half-sleep I believed at first the sound to be those plastic brooms you hear in Parisian gutter rivuelts.  Evenly paced sweeping, steady, for hours and hours.  We’d have coffee upstairs every couple of days and I could see all that sweeping condensed into the paintings.  It made the images hum.  They resemble blurry lanscape photographs taken from trains, complete with the whiplash power lines you see on the TGV at top speed.  Some of the paintings looked like northern Burgundy just out of Paris. I saw gray/blue and green fields and skies with indutrial elements flickering in and out from painting to painting, measuring the space between telephone poles.

The gray, black and white urban industrial material filled the frame of the later paintings of this period.  They all contain RER underground/elevated strobing and an oil, metal and rust scrawl that reminded me of the Canal de l’Ourq.

I left Paris for almost a year and on my return in place of the sweeping noise there was a stage-whispering static, a throbbing white noise punctuated by blasts of Sonic Youth.  The painter was audibly sandpapering his pictures.  Some of them looked like half-renovated walls or half-destroyed frescoes.  Softened lines unfurled into a marine life form or silhouetted an advanced sexual fantasy.  There were nipple-shapped jellyfish.  I saw torrid palette of Gustave Moreau, the greens and reds. Even the cerulean blue was hot: Odilon Redon at gare de l’Est, where calcified water has seeped through the dark orange wall tiles for the last 10 years, leaving great white coral-form stains.  Pubic-black shapes nestled in stellar globules.

Speed, symbolism, decay, sex.  Together that makes what?  Middle age intellectuals romp in the w.c. on the TGV? This is an elegaic carnal sybolism: painting as sex; florid and skanky.  The painter’s high-speed flickering is still visible but it’s been reduced to something seen between the floorboards, one element among others.  These couplings or copulations begin to humanise and populate the earlier landscapes.

Then all sound stopped coming down the stairs.  In the very last works I saw focus on the erotic had been diffused into a wider range of events.  The painter’s imaginative gaze elevates phenomena more banal than sex into highly important activity. Paint dribbled  dramatically sideways as fellow passengers, their bodies juicy puzzles fitted into foam-core seats, ate, drank, read and slept their way to more of the same.

Perhaps M. Borel is performing the simple act, on a train, of looking away from the window, or from his fantasies, to observe with sideways glances his fellow travellers.  He seems to be travelling very fast toward something ever more familiar.  He has caught this movement and the grave dignity it contains with the abandoned precision of a train conductor punching a ticket. We carry on with our business, more excited and more intent on paying attention.

It’s all going by so quickly.

Keith Donovan, 2004 [/lang_en]